Nature-Humains : éclairer l’intention des décideurs et investisseurs

Nature-Humains : éclairer l’intention des décideurs et investisseurs

L’humanité commence à prendre conscience que sa survie est liée au bien-être et à la santé de la planète, de sa biodiversité, de ses écosystèmes terrestres et marins… Il devient nécessaire de repenser l’humanité en tant qu’un élément du Tout. Quelle place prend-elle actuellement ? Comment évolue-t-elle ? Vers où veut-elle aller ?

Cette prise de conscience a provoqué un frein des quatre fers. L’épidémie manifestée au niveau global a été l’occasion de s’arrêter et de repenser à notre place et aux liens que nous tissons avec notre environnement direct, notre alimentation et plus largement avec le monde vivant, la nature (biodiversité, écosystèmes)… Nous entrons en 2021 avec un grand rassemblement virtuel pour se poser la question de la place à donner à la biodiversité. Le One Planet Summit qui s’est tenu le 11 janvier 2021 n’est pas une négociation internationale. Il s’agit d’une coalition, c’est-à-dire un rassemblement d’acteurs prêts à s’engager pour une même cause, ici, la biodiversité. Des milliards de dollars vont être déversés pour cette cause, devenue une priorité. La France a pris la tête de cette coalition. Des représentants d’Etats, de banques, d’ONG sont venus mettre sur la table les moyens, principalement financiers, qu’ils estiment être nécessaires pour « résoudre le problème de la biodiversité ».

A l’image de la cause climatique, il s’agissait aussi d’offrir à la biodiversité une place centrale. C’est chose faite. Mais la question de la biodiversité ne peut pas se résoudre comme celle du climat. Le réchauffement s’évalue en degré. Le marché repose sur le crédit carbone.. Bien que de nombreuses questions techniques soient encore en suspens, avec le climat, l’humain et son modèle économique ont réussi à se positionner pour agir collectivement et globalement grâce à des bases communes et des procédés standardisables. Cependant, avec la biodiversité, il va falloir approfondir la démarche avec beaucoup plus de spécificité car comme son nom l’indique, nous traitons un sujet composé d’une diversité d’éléments incomparables, présents de manière épars et déséquilibrés sur la planète. Il y a des espèces emblématiques (comme les lions, les éléphants, les baleines) et la biodiversité ordinaire. Il y a des espèces parapluies, d’autres invasives… Tant de catégories, d’enjeux, d’idéaux… Et quoiqu’il en soit, pour chacune de ces catégories, il s’agit d’une problématique endémique. Le marché est inexistant, il n’y a pas de valeur commune et les impacts directs ou indirects sont difficiles à évaluer en terme de capital naturel car nous n’en connaissons pas la « valeur ». L’outil des évaluations d’impact avec le volet biodiversité existe de longue date (cf ma thèse sur la négociation écologique en droit des études d’impact environnemental). Des outils, des méthodes, des procédures ont été développés et la surveillance de la biodiversité et les nouvelles technologies pour améliorer le travail des écologues trouve un marché intéressant (capteurs, cameras…) (j’ai été responsable du service R&D et innovation d’un bureau d’étude en ingénierie écologique spécialisé sur les projets d’énergie renouvelables). Nous savons de mieux en mieux observer, et nous tentons de comprendre le monde vivant. Nous tentons autant que possible de limiter nos impacts… Mais nous (humain), nous sommes capables de mesurer nos impacts locaux, ceux des projets et programmes d’un territoire bien défini. Nous avons du mal à évaluer les impacts indirects, diffus, mais nous y travaillons. Nous sommes capables d’offrir non pas une vérité mais une estimation. Et nous ne sommes pas capables de réparer nos impacts. Nous sommes capables de restaurer, nous tentons de conserver mais nous sommes loin d’être Dieu. Nos actions négatives ont des impacts quoiqu’il en soit… Et la compensation environnementale n’est pas un outil satisfaisant. Un exemple simple : on ne compense pas la destruction d’une forêt centenaire en replantant de jeunes pousses d’arbres. Là, on créé un champ d’arbres… c’est différent.

Une question que je m’étais posée déjà à l’époque était celle de mesurer nos impacts globaux. J’étais tombée sur les travaux de la CDC-biodiversité et du global biodiversity score.. Voilà, on y est, les humains se dotent des instruments, outils et méthodes qui lui permettront d’évaluer leurs impacts au niveau global… Mais voilà le problème où nous nous trouvons. Devons-nous financer nos erreurs et financer leur réparation en flux tendu ? ou devons-nous financer nos vertus et changer de cap pour permettre à la biodiversité de produire ses bienfaits et se régénérer ?

Au One Planet Summit, lors du Forum de l’investissement sur la Grande Muraille Verte, les Etats et entités présentes ont dit être prêtes à financer ce projet à hauteur de 10 milliards d’euros. Beaucoup d’argent a permis de financer des projets sur les forêts dans le cadre de la finance climat. Au départ, l’idée était de regarder uniquement comment financer des projets forestiers qui étaient considérés comme des puits de carbone. Mais la question des projets fléchés avec un objectif précis peut s’avérer être un danger pour les équilibres vivants, les populations locales, l’organisation de la vie autour de la ressource. Comme le disait récemment M.Barbut, les premiers programmes REDD ont alors du évoluer en projet REDD+ puis REDD++ pour s’ouvrir à la question de la complexité et des interrelations avec la biodiversité puis avec les communautés locales. Une forêt est vivante, constituée d’individus qui apparaissent les uns après les autres au gré des conditions favorables et des expériences… des écosystèmes, des interdépendances se créent. Les humains, les peuples racines s’adaptent à ce mouvement de vie. Ils consomment ce dont ils ont besoin pour leur survie… Ils respectent des cycles, se soumettent à des lois universelles, sont à l’écoute des équilibres..

Cette question revient à poser la question des aires protégées marines et terrestres. Le One Planet Summit a rappelé cet objectif d’atteindre les 30% d’aires protégées marines et terrestres (dont 10% de protection stricte). Mais encore une fois, il s’agira là aussi de veiller à ce que chaque projet soit adapté à ses problématiques particulières. L’IUCN définit 6 types d’aires protégées (comme les Parcs Nationaux). Chaque catégorie relève de problématiques propres notamment en matière de gouvernance. Les retours d’expérience sur la manière de mener à bien des projets de conservation de la Nature montrent que ces projets ont souvent causé plus de problèmes qu’ils n’en n’ont résolu (augmentation de la pauvreté des populations locales qui n’ont plus accès aux ressources, militarisation de certaines zones de protection, création d’un tourisme d’élites pour découvrir une nature « sauvage »…) Beaucoup de biais en fonction des projets. Les logiques d’exclusivité, de retour à une nature vierge sont une vision, il y en a une pluralité d’autres. Les projets les mieux dotés sont semblent-ils ceux qui arrivent à atteindre des objectifs de conservation intéressant. Un webinaire d’experts sur les stratégies de conservation de la biodiversité en Afrique organisé par le CIRAD auquel j’ai assisté fin 2020 mettait en évidence l’importance de bien considérer la question des problématiques locales, endémiques à chaque projet d’aire protégée. Rappelons qu’en Afrique, il y a 8500 aires protégées et qu’aux côtés des grands parcs souvent évoqués, il y a de nombreuses aires protégées de petites tailles (communautaires, etc.) qui ne sont pas onéreuses…

Concernant le financement pur de cette mesure, selon Julien Calas, « Waldron et al estiment de 103 à 178 milliards de dollars les besoins budgétaires en 2020 pour atteindre la cible de 30% d’aires protégées considérant que dans l’état actuel, les ressources financières des AP existantes sont déjà insuffisantes ». Ces besoins considérables en matière de financement pose sur la table la question qui s’était déjà posée au sujet de la finance climatique : qui doit payer ? Les fonds publics ou le secteur privé ? Souvent à défaut de fonds publics, les aires protégées sont prises en charge par le secteur privé, notamment des ONG de conservation…

La question de la définition de la finance verte ou « finance climatique » est restée en suspens lors de la COP25 et aurait du être éclaircie lors de la COP défaillante de 2020. Mais ce qui est clair, c’est que la coalition étant composée d’acteurs publics et privés, elle règle le doute sur l’origine des fonds pour la biodiversité. On parle de « blended finance », c’est-à-dire « l’utilisation stratégique de financement du développement et des fonds philanthropiques pour mobiliser les flux de capitaux privés vers les marchés émergents, engendrant des résultats positifs pour les investisseurs et les communautés touchées ». Le problème de ce type de financement peut se poser en termes éthique. Financer des projets ou des Start up pour de l’innovation a tout va, promouvoir l’emploi, l’agro-écologie dans le but de générer de l’activité économique, voici bien un programme qui va à l’encontre du discours écologique. Se pose ici un problème d’intention. Pourquoi finance-t-on la biodiversité : pour générer de l’activité économique ou pour résoudre l’équilibre écologique global ? Voici donc une question qu’il s’agira de se poser autant de fois que nécessaire au vu de la déferlante de financements et d’investissements qui va soudainement s’abattre sur la cause « biodiversité ».

Par ailleurs, n’oublions pas que dans une logique « projet », les bailleurs sont dans une logique des financements sur 3-4 ans, alors que l’aménagement du territoire, la concertation entre acteurs, la prise en main par les acteurs locaux de leur problématique et des enjeux qui sont les-leurs est une problématique de long terme. N’oublions pas non-plus que déforester d’un côté et planter des arbres d’un autre n’est pas une compensation équivalente…

Restera la question de la transparence qui sera au centre du travail mis en place par la « Task force sur la Financial disclosure » c’est-à-dire tout ce qui concerne la transparence sur les impacts des entreprises financières sur les questions de biodiversité; et sur comment les banques et assurances vont mesurer l’impact de leurs actions en matière de biodiversité.

Je pourrais encore parler des heures mais au final, où en sommes-nous ? L’humanité peut se poser cette question : Pourquoi travailler à définir un capital naturel, approfondir nos connaissances en matière d’évaluation des services écosystémiques et définir des systèmes de valeurs à travers le paiement pour services écosystémiques, développer les concepts de solutions fondées sur la nature, créer des valeurs, des standards et des normes pour nous permettre de mesurer, d’évaluer, de contrôler nos activités, nos impacts, nos investissements, notre production et notre consommation…? Quelle intention mettons-nous dans le développement de nos activités ? Nous avons décrété que nous avions besoin de développer de l’activité mais la Nature en a-t-elle besoin ? La coalition lance un mouvement pour aboutir à de futures négociations et pousse les Etats et les autres acteurs à se positionner sur cet enjeu, mais quels sont les garde-fous éthiques, sociaux, spirituels, scientifiques ?

Il existe une loi selon laquelle un être vivant change son comportement du simple fait d’être observé. Si la Nature se voit prise d’assaut par les humains, observée, bardée de capteurs et d’indicateurs… ne risque-t-on pas au lieu de sauver le monde vivant, d’arriver à l’éteindre ? Peut-on offrir une place à la patience et à l’inaction ? Nous en avons vu les bienfaits dernièrement… voir la carte des bienfaits de la pause écologique.

Sève Carrez, 13 janvier 2021.


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.